
C'est peu de le dire : l'instabilité politique nationale depuis 18 mois ainsi que la situation économique du secteur immobilier ne vont pas dans le sens d'un renforcement des ambitions environnementales des bâtiments. Au contraire, les voix plaidant pour un "allègement des normes environnementales" se font plus pressantes et plus audibles.
Comme un symbole dans ce contexte, on peut citer le rapport commandé par Valérie Létard (ancienne ministre du Logement) à Robin Rivaton (directeur d'une plateforme de gestion de données du bâtiment à destination des bailleurs et des investisseurs) pour "évaluer les impacts du futur jalon 2028 de la RE2020". Publié cet été, il résonne spécialement avec l'actualité réglementaire, qui a motivé l'écriture de cet article. Bonne lecture !
La RE2020, où en est-on ?
Pour mémoire, elle n'est en vigueur que pour les bâtiments d'habitation, les bureaux, et les bâtiments d'enseignement primaire et secondaire. On attend l'extension de l'application pour les "autres usages" que sont les crèches, les universités et les internats, les hôtels et les restaurants, les gymnases, les commerces, les établissements de santé, les EHPAD, les bâtiments industriels (usages historiques toujours soumis à la RT2012) ainsi que les bibliothèques et médiathèques (jusqu'ici non soumises à la réglementation).
Longtemps annoncée pour juillet 2024, puis pour janvier 2025, puis juillet 2025, puis janvier 2026 (promis !), on pensait tenir le bon bout il y a 6 mois, lorsque les projets de décret avec les exigences pour ces nouveaux usages ont enfin été publiés. Sauf que depuis... plus rien.
Perturbant ? Oui, évidemment : en 2021 et 2022, pour les logements et les premiers usages tertiaires respectivement, les décrets définitifs avaient été publiés 4 à 6 mois après les projets de décret, avec une marge de 4 mois supplémentaires avant l'entrée en vigueur. Nous sommes en décembre, et cela fait donc plusieurs semaines qu'un nouveau décalage de la RE2020 ne fait plus de doute.
Nouveau rendez-vous pris, sans doute, pour l'été 2026. On attend désormais l'officialisation, et on attend également de voir ce que vont devenir les décrets d'application, dans un contexte marqué par des attaques en règles sur les ambitions environnementales réglementaires.
Le coeur du "rapport Rivaton" consiste en une liste de 23 mesures ayant l'ambition de "neutraliser les surcoûts à terme" et de préserver tout à la fois "la capacité de production de logements du secteur de la construction", la "qualité" des logements et les ambitions carbone.
Ce rapport, publié cet été, a déjà donné lieu à de nombreuses réactions, notamment consolidées à l'échelle de réseaux professionnels, et auxquelles nous avons pu ponctuellement contribuer : vous pouvez notamment lire cet article sur les alertes du Hub des prescripteurs bas-carbone, ou encore les contributions du réseau Ville & Aménagement Durable.
Certaines mesures du rapport sont pertinentes et bienvenues, comme le financement de la production de FDES/PEP et de configurateurs, ou la pérennisation des modulations du 30 décembre 2024 (des ajustements calculatoires pertinents). Mais malheureusement, la majorité des mesures nous semblent extrêmement dommageables. En complément des rapports listés ci-dessus, nous vous proposons dans cet article notre point de vue sur une sélection de mesures, parmi celles qui nous semblent les plus impactantes et les plus préoccupantes.
L'idée est ici de réunir les indicateurs Ic,énergie et Ic,construction, avec l'argument de "donner au maître d'ouvrage le choix de maximiser l'un ou l'autre indicateurs", prétendant "donner sa chance au progrès technologique dans les systèmes de production de chaud et de froid" sans pour autant "ne rien enlever à la contrainte du texte" (sic !).
La conséquence est malheureusement évidente : une dilution de l'effort, un choix s'orientant sur la ligne de moins grande pente, en favorisant le critère énergie au détriment de la partie construction. La majorité des projets ne rencontrent pas de difficultés sur le Ic,énergie (c'est l'Observatoire RE2020 qui le montre) et cette fusion permettrait de compenser des mauvais choix carbone sur la partie construction par :
Rappelons que le sujet de la temporalité des émissions n'est pas anecdotique : le Ic,construction, c'est du carbone envoyé dans l'atmosphère dès aujourd'hui, qui va avoir un impact sur l'effet de serre immédiatement ; le Ic,énergie, également important, concerne toutefois des émissions futures (c'est toute la justification de l'ACV dynamique, qui -rappellons-le- impacte également le Ic,énergie). C'est toute la question de l'urgence de l'action, et de l'importance de marteler que pour minimiser l'impact sur le changement climatique, c'est dès aujourd'hui qu'il faut baisser drastiquement les émissions.
Le choix sémantique peut faire sourire (jaune), on se bornera à lister les propositions : abaissement du coefficent de conversion Ef-Ep de l'électricité à 1.9, abaissement du facteur d'émission de l'électricité pour le refroidissement, abaissement du coefficient de besoin de froid du Bbio. Des ajustements calculatoires et méthodologiques qui rendent possible d'installer une climatisation... sans s'être intéressé d'aucune manière à la robustesse du bâti aux vagues de chaleur !
Soyons clairs : il ne s'agit pas d'être "contre" la climatisation, ce débat n'a pas de sens. On n'est pas "pour ou contre" le chauffage, on n'est pas "pour ou contre" le refroidissement. Mais s'il serait choquant pour tout le monde de chauffer un bâtiment sans l'avoir préalablement isolé, il devrait être tout aussi choquant d'ouvrir la porte à la climatisation sans avoir préalablement déployé tous les moyens nécessaires à une amélioration réelle du bâtiment lui-même.
Vous le savez, c'est un sujet qui nous tient à coeur chez Amoès, et nous souhaitons profiter de cet article pour reparler de notre Manifeste pour l'adaptation du bâti aux vagues de chaleur, rédigé avec nos confrères et consoeurs d'Étamine, EODD, Inddigo, Pouget Consultants, Oasiis et Florès. Nous n'y faisions guère que lister des évidences, en énonçant qu'il faut commencer par une généralisation de moyens :
Ce n'est qu'après avoir sérieusement généralisé ces moyens que la question de la climatisation peut se poser.

Le rapport Rivaton passe malheureusement trop vite sur ces sujets, fait des oppositions fallacieuses, et des raccourcis hasardeux. Ainsi, la proposition de "revoir l'indicateur de confort d'été" en questionnant son intitulé, les scénarios climatiques ou les hypothèses d'occupation n'est pas sans intérêt, mais elle passe à côté de l'essentiel sur un sujet aussi crucial, en n'évoquant pas les exigences de moyens et les garde-fous à généraliser.
Les brasseurs d'air ne sont évoqués qu'une seule fois dans le rapport, et c'est pour expliquer que la hauteur sous plafond de 2m50 empêche leur installation, ce qui est une généralisation abusive, comme le montre le rapport Brasse et ses nombreux guides et annexes. Plus problématique, le discours entretient l'opposition artificielle entre "qualité d'usage" et "performance environnementale", en assénant au passage de grossières contre-vérités : on se demande bien où a été trouvée la généralisation du triple vitrage (page 44 du raport)...
Au-delà de ces éclats, il est insidieux et délétère d'opposer "qualité d'usage" et "performance thermique", surjouant l'opposition rencontrée trop souvent sur les projets entre architectes et thermiciens. La thermique d'été fait partie intégrante de la qualité d'usage, et elle est l'affaire de tous ! Un bâtiment trop vitré ou avec des protections solaires insuffisantes devient par définition une bouilloire thermique "impropre à son usage", c'était le point de départ de notre Manifeste. Quelle "qualité d'usage" dans un bâtiment inhabitable ?
C'est la première mesure du rapport, qui s'appuie sur un élément un peu technique : un changement normatif (amendement A2 à la norme NF EN 15804) a modifié le poids carbone de nombreuses données (parfois à la baisse, souvent à la hausse) et va induire la disparition d'un nombre important de FDES sur la base Inies (suppression des données A1 dans la base Inies au 31 décembre 2025). L'augmentation apparente du poids carbone des projets -augmentation purement lié à un manque temporaire de données- vient légitimer pour Robin Rivaton la nécessité de réhausser les seuils de départ d'un forfait de 40 kgéqCO2/m², en conservant les améliorations relatives suivantes.
À titre d'exemple, le niveau requis du seuil Ic,construction pour les logements collectifs passerait ainsi :
La manoeuvre nous paraît particulièrement grossière, en donnant simplement un vernis de justification à une dégradation pérenne des ambitions.
Notre proposition, pour répondre à cette problématique temporaire, serait de décaler l'échéance du 1er janvier 2026 en prolongeant l'utilisation de FDES A1, pour amortir la transition.
Le rapport est également riche de multiples propositions d'exceptions, qui minent la cohérence et l'ambition du texte :
Et il n'y a pas que la RE2020 ! Moins grand public que la RE2020, un rouage important des politiques publiques concerne la régulation des systèmes, et concerne tous les bâtiments.
Le Décret BACS (pour Building Automation & Control Systems, soient les Systèmes d'automatisation et de contrôle des bâtiments), publié en 2020, prévoit le déploiement progressif dans les bâtiments tertiaires d'un ensemble de produits, logiciels et services permettant de suivre et analyser des données de consommations, notamment pour détecter les pertes d'efficacité et les corriger.
Ces "BACS" sont décrits dans un système avec des classes de performance, définissant thème par thème ce qui répond (ou pas) aux exigences réglementaires. Pour le cas du chauffage/refroidissement par exemple, il faut une régulation automatique par pièce pour atteindre la classe C et satisfaire les exigences du Décret (une régulation centrale ne suffit pas). Un classement analogue existe aussi pour la ventilation, pour l'éclairage, etc.
Déjà applicable pour les les bâtiments neufs avec un système d'une puissance supérieure à 70 kW et les bâtiments existants avec un système d'une puissance supérieure à 290 kW, on attend la dernière marche du décret pour janvier 2027, avec la généralisation pour les bâtiments existants avec un système d'une puissance supérieure à 70 kW. Pour les plus légalistes d'entre vous, tout ceci est défini dans le Code de la Construction et de l'Habitation, grâce au Décret 2023-59 du 7 avril 2023.
Plus présent dans le débat public suite aux interventions récentes de personnalités d'extrême-droite, un principe analogue existe dans le secteur résidentiel : le Décret 2023-444 du 7 juin 2023 a créé dans le Code de l'Énergie un article prévoyant pour janvier 2027 une régulation locale par pièce dans les bâtiments résidentiels. Autrement dit, des thermostats, qui doivent au moins prévoir des allures "confort", "réduit", "hors gel" et "arrêt", et une commutation automatique entre confort et réduit.
Sauf qu'un projet de Décret du gouvernement, mis en consultation jusqu'à la semaine dernière, prévoit de modifier les textes cités plus haut pour décaler de 2027 à 2030 les exigences à venir, en résidentiel comme en tertiaire. Le Conseil Supérieur de l'Énergie (CSE) est contre ce report, le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) est contre aussi, mais tout cela reste consultatif...
La ficelle est malheureusement toujours la même : une vision court-termiste motivée par des calculs politiques, et les yeux rivés sur des chantages à l'emploi, au pouvoir d'achat, à l'impréparation du secteur.
Le problème ? Pour ces sujets environnementaux et énergétiques, on le sait depuis longtemps, le coût de l'inaction est prohibitif. Faire l'économie d'une mesure aujourd'hui, signifie en pratique en payer les frais dans le futur, avec des intérêts colossaux.
Chaque non-choix, chaque reculade, chaque négociation, chaque compromission nous envoie un peu plus sûrement dans un mur qu'aucun responsable politique n'aura le pouvoir de nous faire éviter, et qui n'a aucune chance d'être plus doux si on y va avec un bandeau sur les yeux.